Ou comment ne pas se faire rouler dans la farine.
Tout d'abord, les berlines XJ 6, de la première tombée de chaînes en 1968 jusqu'à la berline atteignant une douzaine d'années, ne cotent pas grand chose. Bien évidemment, cela va de l'épave d'une version basique à reprendre entièrement jusqu'à celle qui est peu kilométrée et parfaitement entretenue. Et bien entendu, ce n'est pas vraiment le même prix !
Je ne m'étendrais pas sur les berlines des séries 1, 2 et 3 équipées du fameux moteur XK, souvent en six cylindres, parfois en V12, rarement en coupé. Elles font l'objet d'une équipe de passionnés qui ne jurent que par elles. Le moteur XK est un moteur à longue course, qui demande des soins appropriés, sans oublier une corrosion sournoise et une finition parfois "surprenante" pour une marque dite de prestige. Dans certains cas, notament pour les entrées de gamme, ça ferait passer une lada pour une auto de capitaliste.
Il s'agit là de voiture de collection, avec toutes les précautions à prendre en tant que telle à l'achat, à l'entretien comme à l'utilisation. Les premières ont plus de 40 ans !
Alors, qu'en est il de la XJ 40...
Jaguar a voulu faire un grand pas en avant avec le lancement de la série 40, rejoindre le club fermé des berlines de luxe fiables avec, ne le cachons pas, un gros coup d'oeil du coté de l'Allemagne dont la réputation n'est plus à faire en la matière, BMW série 5 et 7 ainsi que les berlines Mercedes contemporaines.
Si la ligne générale est aisément reconnaissable, l'allure comporte des lignes plus tendues. Exit les rondeurs des générations précédentes, tout comme le vénérable XK, mis à la retraite. Qui a dit "enfin" ?
L'AJ6 de 3.6, équipant les coupé XJ-S depuis quelques années déjà, prend place dans le compartiment moteur de la 40 fin 1986. C'est un bon moteur qui met partiellement fin au règne du XK. Qui a dit de nouveau enfin ?
Ici, le 3.6 dont on a ôté la culasse. On remarque la présence de chaines de distribution. Jaguar a toujours été attaché à ce mode d'entrainement des arbres à cames et n'a pas cédé à la mode des courroies, plus légères et plus souples, mais pas éternelles. Le changement de ces courroies est une opération délicate et ne s'effectue pas à la légère. Passage par un garage quasi obligatoire, surtout sur un moteur équipé de plusieurs arbres à cames.
Ce moteur, ainsi que la lignée de six en ligne Jaguar, ne recèle pas de grosses tares. L'essentiel est d'avoir un bon refroidissement, le moteur étant volumineux et dégageant pas mal de calories. L'état des durits est primordial, attention à celles qui présentent des craquelures. Le radiateur peut passer par la case "nettoyage externe et interne", voir détartrage. On ne le dira jamais assez : une surchauffe est particulièrement néfaste pour un moteur.
Il est aussi interressant de vérifier le calorstat. Cette petite pièce régule la température du moteur. Facilement accessible, son changement est à la portée de tous, son prix avoisine les douze euros et est disponible sur le net. Bien faire attention à avoir la bonne référence.
Autre petite faiblesse de l'AJ6 : le collecteur d'échappement qui peut se fendre et laisser passer les gaz brulants. Conséquence : le cache chromé qui couvre les pipes d'échappement va très mal le vivre. De plus, la température sous capot va sensiblement grimper. Ce n'est pas très grave en soit, mais il faut savoir que les gaz qui sortent de combustion ( juste en sortie de culasse ) avoisinent les 850 degrés.
A part ça, pas grand chose à craindre avec un entretien classique : vidange, filtres...
En ce qui concerne la transmission, pas de gros vices. Juste le roulement de pont qui peut se mettre à ronronner. Ce n'est pas immobilisant, mais gênant. Le bruit augmente d'intensité et de fréquence avec la vitesse. Autre petite blague : les voitures équipée des amortisseurs arrières à correction d'assiette. Ceux ci ont souvent un fonctionnement aléatoire : il semble que Jaguar ne faisait pas aussi bien dans les années 80 que Citroën dans les années 60. Le remplacement de l'ensemble est onéreux : compter 700 euros sans la main d'oeuvre. Il est même préférable de faire remplacer cet attirail par un système classique.
Pour ce qui est de la carrosserie, il faut savoir qu'elle n'est pas completement exempte de rouille. Heureusement que ce n'est pas dans les mêmes proportions que la génération précédente qui était limite bio dégradable. Mais ça peut apparaitre sur les soubassements, sur la bordure de couvercle de malle arrière, à l'avant du capot et sous les baguettes chromées. Rien de grave non plus ( ce n'est pas structurel ), mais à reprendre pour éviter que ça s'étende.
L'intérieur est princier, le confort royal. Les places de devant sont très confortables et on peut enchainer les kilomètres sans se sentir crispé à l'arrivée. Le silence qui accompagne les parcours autoroutiers est reposant et on peut tenir une conversation avec les autres occupants sans hausser le ton. Des liseuses sont disponibles dans les custodes et à l'arrière des dossiers des sièges avant. Sur les modèles Daimler, des tablettes de type aviation sont situées au même endroit. Notons également des fauteuils séparés aux places arrières sur cette version.
Tout est étudié pour le confort et la relaxation.
Mais le temps n'épargne pas grand chose. Les boiseries ont tendance à sécher et à s'écailler. L'électricité, complexe de chez complexe, finit pas générer des pannes qui, sans être immobilisantes, irritent. La faute aussi à des composants qui ne sont pas toujours de premiers choix.
En somme, il s'agit là d'une belle pièce automobile qui commence à prendre de l'âge, mais qui tient toujours son rang dans la circulation actuelle, même après vingt neuf ans après le début de la production.
De plus, les prix sont contenus, l'entretien de la mécanique est à la portée du mécanicien amateur, et notre contrée regorge de petits garages spécialisées en voitures anglaises qui sauront entretenir votre belle à moindre cout.
Pour moi, c'est la quadrature du cercle.
Points forts :
- Le moteur : si les XK avaient du mal à maintenir un régime élevé sur grande distance, en partie à cause d'une course conséquente, il n'en est plus de même sur l'AJ6. Les cylindrées 3.2, 3.6 et 4.0 sont très costaux, pour peu que leur maintenance soit effectuée dans les règles de l'art. 300 000 kilomètres ne sont pas impossible. Idem pour les boites de vitesses automatiques ( ZF HP 22 ou 24 ) ou manuelles ( Getrag ). En bref, la berline peut tenir un 160 de moyenne sans que sa mécanique soit en danger. Une révolution chez Jaguar.
- La carrosserie est relativement bien protégée contre la corrosion, surtout sur la deuxième génération ( 1991 à 1994 ).
Points faibles :
- Certains détails de finition : sans être incapacitant, le ciel de toit qui se met à pendouiller façon tentures grècques donne à l'altière berline un aspect négligée, voir franchement misérable, qui ne sied pas à une berline anglaise de ce rang. La peinture n'est pas non plus d'une excellente qualité et peu parfois laisser filer le vernis de surface, les poignée de portes en zamac des premières versions qui vous restent dans la main... Pas immobilisant, mais plutôt irritant sur une voiture de prestige.
- L'électricité : D'une grande complexité, le faisceau n'est pas exempt de plaisanteries irritantes typiquement britanniques : le balai d'essuie glace monobras qui, en mode coup par coup, s'arrête n'importe où sur le pare brise ; les codes de pannes fantaisistes qui s'affichent sur le tableau de bord ; la climatisation qui déclare forfait, sans oublier le tableau de bord des premières versions qui, en plus d'être peu lisible, fait passer le poste de conduite de votre Jaguar pour le cockpit de la navette spatiale de Buck Rogers.
- La direction assistée qui pisse l'huile d'assistance et qui, depuis le 1er janvier 2012, appelle une contre visite au contrôle technique. Son remplacement est assez onéreux.
- Le coffre dont la charge d'emport se limite à 60 kilos car la fond est une tôle bien mince. A ce sujet, si le coffre sent le moisi à l'ouverture, ce n'est pas normal. Sans être un bathiscaphe, la 40 doit être étanche à la pluie. Le plus souvent, c'est au niveau de l'antenne radio que ça foire. Et comme les ailes arrières forment gouttières, l'eau ruisselle rapidement dans le coffre.
- Les pneux en monte millimétriques très oneureux, dont la refabrication se fait au coup par coup. Attention à ce " détails". Certaines jantes sont en pouces, heureusement. Dans mon cas, j'ai préféré avoir des jantes en tôle de 15 pouces que des jantes en aluminium de 390 millimètres.
- Et une propension au dessus de la moyenne à la corrosion. Moins marquée que sur les générations précédentes ( quoique...) , la 40 a tendance à rouiller davantage que les berlines allemandes ( ou même françaises ) de la même époque, mais cela concerne surtout la première génération ( 1986 à 1990 ).
Lors de la première viste :
Un conseil propre à l'achat de tous véhicule d'un certain âge, c'est à dire ayant passé le cap de la quinzaine d'années : aller voir où niche la bête. Sans être parano, cela vous renseignera sur l'habitat quotidien ( garage chauffé, parking extérieur, fond de jardin, poulailler, terrain vague... ) et sur la façon dont conduit le précédent propriétaire. Si il démarre comme un sauvage à froid, laissez tomber. Madame laisse une flaque d'huile ? Si les anglaises ont cette réputation d'incontinence, la 40 ne doit pas laisser une marée noire, ni même une goutte.
1) L'extérieur :
Au jour ( et non pas à la lumière des néons ou juste à la sortie d'un copieux lavage chez le pachyderme bleu ! ), regardez l'alignement des ouvrants. Bosses, vaguelettes, boursouflures, creux, tous cela apparaîtra facilement. Peinture partielle ? Accident ? Pas forcément grave, mais le cacher en dit long sur l'honnèteté du vendeur.
N'ayez pas peur de vous allonger et de regarder les dessous de madame ( évitez alors le costard et les pompes en croco ). Corrosion sur les bas de caisse ? La traverse moteur ? pas bon. Difficulté à ouvrir une portière ? Couleur de peinture légèrement différentes ? Traces d'un accident mal réparé.
On peut tolérer de la corosion de surface sur la traverse moteur ou autre part, mais elle devra être reprise sans tarder.
Ouvrez tous les ouvrant, y compris la trappe de réservoir. Sous le capot, l'aspect moteur peut être négligé, sale, mais en aucun cas ressembler à une fritteuse. A tout hasard, regarder la cylindrée affichée sur le devant du bloc moteur. 3.2 ou 4.0 sur les véhicules de 1990 et après, jaguar sur le 3.6 ( souvent noté "Jaguar" ), et daimler si la finition est ainsi affichée. Le 2.9 ( si l'idée vous tente ) est parfois remplacé par un 3.6 bien plus fiable. Si le montage ne pose pas de problème technique, vous n'êtes plus dans la légalité. Ce moteur se caractérise par un couvre culbuteurs plus fin ( 12 soupapes au lieu de 24 ).
Enfin, regarder le capot juste au dessus du radiateur. Certains propriétaires se sont crus avisés en plaçant un "leaper" ( le jaguar bondissant ) sur le capot. A chacun de voir, et si cela ne dépareille pas une Mk2 ou une S-type ( l'ancienne génération ), sur une "40", ça frise le ridicule : l'animal ressemble à un nain de jardin égaré sur un terrain de golf.
Ce qui fait que beaucoup l'ont ôté, les trous sont parfois laissés béants, parfois bouchés avec des accessoires de salles de bains en laiton... ou plus simplement, le leaper a été arraché... et doit se trouvé quelque part transformé en presse papier.
Dans ce cas là, il faut repeindre tout le capot. Exercice hasardeux sur une peinture d'au moins 20 ans...
2) Sous le capot moteur :
Tirez la jauge à huile moteur ( embout rouge ): elle peut avoir un peu d'âge, mais ne dois pas être trop brûne tout de même. Regarder le niveau : c'est élémentaire. On peut tolérer une légère diminution par rapport au maximum, mais ne dois pas se situer au minimum, voir au dessous. Le niveau d'huile non fait alors que c'est d'une simplicité élémentaire ? Imaginez un peu le reste, genre niveau de boite et pont...
Tirez également la jauge à huile de boite de vitesse automatique ( embout jaune ). Si le moteur est froid et non tournant, les niveaux ne veulent strictement rien dire. Mais si le moteur est chaud, faite tourner le moteur, engager chaque rapport pendant quelques secondes et revenir sur P. Le niveau sur la jauge doit se trouver dans la partie striée. Ni au dessus, ni au dessous. De plus, l'huile ne doit pas sentir le poisson qui se néglige, doit être fluide et sans limaille de fer. Juste au sortir, elle ne doit pas comporter de petites bulles d'air.
Bien évidemment, regarder aussi les niveaux de liquide de frein, de liquide de refroidissement ( attention si le moteur est chaud ), de lave glace. Une Jaguar négligée peut se repérer à ce type de détails. Si celà a peu d'importance sur la R5 diesel de votre soeur, les conséquances sur une mécanique de race se fait bien plus ressentir.
3) L'intérieur :
Les boiseries doivent aussi être propres. Le remplacement de celle ci sur les contre porte n'est pas simple : le reflet de l'une doit être l'origine de l'autre. C'est un détail qui a son importance et qui fait le charme de ces vieilles anglaises.
Le ciel de toit qui tombe est un grand classique chez Jaguar, ça peut se refaire sans trop de problème, mais ça donne sur le moment un coté négligé. Cela commence par des cloques qui s'aggrandissent avec le temps. La 40 n'est pas la seule à écopper de ce défaut; les 300, 308 et 350 en sont souvent victimes aussi.
Le cuir est souvent de teinte claire. Cela se nettoie, mais évitez les craquelure, les déchirures, ou les sieges décousus. Ce n'est pas la mer à boire, mais ce n'est pas la peine de se rajouter ça, d'autant que l'intérieur n'est pas spécialement fragile. C'est plutôt le signe d'une certaine négligence.
4) Le dessous :
On peut accepter quelques suintements d'huile, mais pas des fuites conséquentes, et ce au bloc, à la boite ou au différentiel. Un dessous sale n'est pas rédibitoire, mais attention à la corrosion, toujours possible. Un coup d'oeil aux consommables comme le filtre à carburant, les amortisseurs, les plaquettes de freins, mais aussi l'état du barreau de direction, des durits, des flexibles de freins.
Sur la route :
Il est impératif d'essayer la bestiole, et ce à froid comme à chaud, et sur tous type de parcours, et si possible par temps sec. Sur route et dans un endroit dégagé, dans le cas fort probable d'une boite automatique, essayez le "kick down", ce système permettant à la boite de vitesses de redescendre un rapport si vous enfoncez l'accélérateur au plancher.
Bien entendu, la voiture doit rouler droit, et ce même si vous lachez le volant quelques secondes. Le freinage doit se faire en ligne, et pendant que vous y êtes, tester également l'ABS. Il arrive que celui ci soit hors service. Le prix des capteurs est prohibitif.
Si la tenue de route est honnête, n'oubliez pas que madame avoisine les 1800 kilos à vide. Ce n'est pas une Lancia stratos, n'attaquez pas le col du Turini à fond les balais, les transferts de charges vont vite vous le faire sentir, sans oublier la connsommation, l'usure des pneus, des freins... Cependant, une "40" doit coller à la route et ne pas lovoyer comme un chalutier. Le chassis est assez dynamique, mais c'est assez lourd tout de même.
Alors ?
Convaincu ? Si oui, allez y. Mais attention : une fois que le félin a mordu, il n'y a pas d'antidote. Et si vous avez pris soin de prendre votre "40" en bon état, vous avez tiré le gros lot, vous aurez le sourire sur la route...